
Une carte pour revenir à la maison, à ce que nous sommes vraiment.
Le Sāṃkhya Darśana n’est pas seulement une théorie philosophique : c’est une manière de voir et d’expérimenter le processus vivant de la création.
Il nous aide à comprendre comment, selon la vision traditionnelle, la manifestation prend forme depuis deux principes éternels – Puruṣa et Prakṛti – et surtout comment, par la discrimination, nous pouvons nous libérer de la confusion qui les mêle.
Cette philosophie est le socle sur lequel reposent le Jyotish (astrologie védique) et l’Ayurveda, qui l’utilisent comme boussole pour accompagner la vie en lien avec l’intelligence universelle.
Un mot qui raconte déjà une vision
- Sāṃkhya (सांख्य) vient de saṅkhyā, qui signifie « nombre », « énumération complète ». Ici, il s’agit d’énumérer l'essence, les principes fondamentaux (tattva, तत्त्व ) qui composent la réalité, du plus subtil au plus concret.
- Darśana (दर्शन) signifie « vision directe », « manière de voir ». C’est à la fois un regard et une expérience intérieure.
Ensemble, Sāṃkhya Darśana peut se traduire par : La vision qui expose la réalité en énumérant ses principes constitutifs.
Un art de voir la création à l’œuvre
Le Sāṃkhya décrit, étape par étape, comment la réalité se déploie depuis la source jusqu’au monde manifesté. Il ne parle pas d’un début unique mais d’un processus constant, qui se rejoue à chaque instant, dans chaque pensée, parole ou action.
Ce processus engendre des réactions (karma), qui nous relient au cycle du temps et de l’espace (saṃsāra).
Attribué au sage Kapila, le Sāṃkhya distingue deux réalités :
Puruṣa (पुरुष) : la conscience pure, immuable. (racine : pur « ville, cité, corps » + ṣa « habitant », « L’habitant du corps ».)
Prakṛti (प्रकृति) : la nature primordiale, toujours en mouvement. (racine : pra- « en avant, origine » + kṛ « faire, créer » + -ti suffixe de nom féminin, « Ce qui est à l’origine », « productrice ».)
Dans la perspective du Sāṃkhya, cette distinction est un outil pédagogique : elle aide à comprendre les mécanismes de la manifestation et à ne pas confondre ce que nous sommes (Puruṣa) avec ce que nous expérimentons (Prakṛti). La libération (kaivalya) vient de la reconnaissance claire que ces deux réalités sont distinctes par nature.
D’autres traditions, comme l’Advaita Vedānta, proposent un regard différent : Puruṣa et Prakṛti ne sont pas deux réalités séparées, mais deux aspects d’une seule essence, le Brahman, le Soi ultime (Ātman). C’est l’enseignement que j’ai rencontré à travers les paroles de Ramana Maharshi : réaliser l’Unité absolue et voir que la dualité n’est qu’une apparence (Māyā).
Ainsi, Sāṃkhya et Advaita empruntent des voies différentes — l’un par la discrimination (viveka), l’autre par la dissolution de toute distinction — mais visent tous deux à nous libérer du cycle de la souffrance.
Trois clés pour comprendre le Sāṃkhya
Un univers vivant et interconnecté.
Ce qui est vrai dans le macrocosme (l’univers) se reflète dans le microcosme (l’être humain). Les lois qui régissent les étoiles agissent aussi dans notre psychisme et notre corps.
Tout est intelligence consciente (Chaitanya)
Chaque nom et forme est une « maison », un corps habité par cette intelligence originelle (Puruṣa, l'habitant du corps)
Tout ce qui existe est habité par cette présence consciente. L’inanimé, comme un rocher, est simplement une forme où la conscience n’est pas manifestée de manière évidente.
Deux formes de connaissance
- Apprise : livres, enseignements, concepts.
- Vécue : expérience directe, transformation intérieure.
Sans la seconde, le Sāṃkhya reste une belle idée… mais incomplète.
Les trois moyens de connaissance (Pramāṇa)
- Pratyaksha – l’expérience directe
- Anumāna – l’inférence logique
- Āptopadeśa – le témoignage fiable (enseignements, maîtres authentiques)
Ces trois piliers assurent que la compréhension ne reste pas théorique mais devienne vivante.
Lien avec le Jyotish
Le Jyotish est l’art de lire la lumière de la création.
En s’appuyant sur le Sāṃkhya, il observe comment la conscience pure (Puruṣa) agit à travers la matière (Prakṛti) pour façonner notre expérience de vie.
Les planètes (Grahas) sont des forces vivantes qui « saisissent » notre attention et déclenchent des situations en accord avec notre karma.
Lire un thème natal revient à voir comment la structure du Sāṃkhya (karma, loi de la cause et de l'effet) s’exprime dans la vie d’une personne.
Lien avec l'Ayurveda
L’Ayurveda, héritier direct du Sāṃkhya, soigne en coopérant avec cette intelligence à travers les trois doshas :
- Vata – mouvement
- Pitta – transformationKapha – cohésion.
- Kapha – cohésion.
But ultime
Le Sāṃkhya n’est pas une religion, ni un ensemble de rituels : c’est un outil de discernement. Il aide à reconnaître Māyā, l’illusion qui nous fait croire à la séparation, et à se tourner vers l’Absolu, la conscience de l’Un, immuable et vivante.
En résumé
- Le Sāṃkhya nous montre l’ordre de la manifestation.
- Le Jyotish l'applique pour comprendre les karmas en action.
- L’Ayurveda l’applique au corps et à la santé.
- Et au-delà de ces applications, il nous ramène à l’essentiel : quitter l’illusion de la dualité et vivre dans la conscience de l’Un.
Dans un prochain article, je présenterai les étapes inspirées du Sāṃkhya : une manière de décrire le déploiement de la réalité à travers mon propre regard, nourri de mes enseignements et de la tradition. J’y partagerai également un schéma qui en offre une vision synthétique.